LE JOUEUR COMME DÉCORATEUR
MineCraft, Markus Persson, 2011
AUJOURD’HUI, CERTAINS JEUX OFFRENT AU JOUEUR LA POSSIBILITÉ DE CONCEVOIR SES PROPRES NIVEAUX, ENVIRONNEMENTS ET UNIVERS. CETTE PRATIQUE EST SOUVENT UNE DÉVIANTE DU GAMEPLAY INITIAL ET N’EST PROPOSÉE QUE SUR DES MODES DE JEU ALTERNATIFS DISSOCIÉS DU MODE DE JEU PRINCIPAL.
Tuyau utilisé dans la série de jeu Super Mario
Les jeux comme Super Mario Maker, ont orienté leurs campagnes marketing autour du fait que le joueur devient son propre level designer en mettant à sa disposition tous les outils créatifs que le jeu permet. La force principale de Super Mario Maker est de s’inscrire dans un univers fort connu de tous. Nintendo joue aussi sur la nostalgie des joueurs qui peuvent maintenant devenir level designer d’un univers iconique. Il n’est pas étonnant non plus que ce jeu soit sorti à l’occasion des trente ans de la série Super Mario. De plus ces modes créatifs ont un aspect social qui permet ensuite au joueur de mettre en ligne, de partager et de télécharger de nouveaux niveaux. Le jeu se renouvelle sans cesse grâce à sa communauté qui met à disposition un nombre incalculable de nouveaux niveaux, qui donne au jeu une durée de vie quasiment illimitée…
1. Un mode de jeu est un gameplay secondaire proposé par les développeurs du jeu, qui laisse le choix au joueur de sa manière de jouer. Exemple : Mode multijoueur, mode créatif, mode campagne... À ne pas confondre avec le mod (abréviation de modification) qui est un gameplay alternatif qui vas émergé de la communauté de joueurs.2. League of Legend ou LoL est l’un des principaux jeux MOBA : arène de bataille en ligne multijoueur.
Le mode de création de Warcraft III, a permis à sa communauté n’ont pas de juste créer de nouvel map ou univers. Mais a vu naître l’émergence de nouveau gameplay et de nouvelles pratiques de jeu, au sein même de son univers qui sont par la suite devenus des mod de jeu1 à part entière. Aujourd’hui un jeu comme League Of Legend 2 a émergé d’un mod Warcraft.Le modèle qui a le mieux réussi à s’imposer sur est celui de Minecraft. De la même manière, Minecraft a concilié deux modes de jeu. N’oublions pas que Minecraft est un jeu de survie avant tout, qui se base sur l’utilisation maximum des ressources du décor par le joueur. Pour chaque nouvelle partie, une map est générée de manière aléatoire et c’est le joueur qui est amené à transformer l’espace par la combinaison de différentes ressources. Dans ce mode les matériaux ne sont pas illimités. Le joueur est donc amené à collecter un maximum de ressources afin de survivre.
3. Les biomes sont des régions dans un monde Minecraft avec différentes caractéristiques géographiques, végétaux, hauteurs, climats, degrés d'humidité, couleurs de ciel, couleurs de feuillage. (Source)4. Craft ou crafting est la méthode par laquelle des blocs, outils, et d'autres ressources sont créés dans Minecraft. (Source)
Le joueur est alors amené à se construire un abri pour pouvoir survivre à la nuit et à ses créatures. Rosane Lebreton explique que les propriétés de ces monstres : qui surgissent des endroits qui ne sont pas éclairés et qu’ils ne peuvent généralement pas détruire ou passer à travers les blocs. Ces attaques poussent le joueur de manière instinctive à se construire un abri. Le joueur va construire son abri en fonction des matériaux et des ressources qui se trouve autour de lui, dans son biome3, qu’il récolte puis assemble (craft4) afin d’être protégé.
Lorsque l’on observe le comportement de la communauté des joueurs de Minecraft, ce lieu qu’est l’abri est important à leurs yeux. Il est d’ailleurs très courant qu’ils prennent une attention toute particulière à l’endroit où celui-ci va se trouver, à son aspect esthétique, aux matières qu’ils utilisent et à son aménagement intérieur. Rosane Lebreton note que « Le jeu va jusqu’à incorporer des éléments comme des vases, des tableaux, des tables, des bibliothèques qui perdent leurs fonctions aux profits de leur aspect décoratif. »
Briques, Fortnite, Epic Games, 2017
« Les constructions qui y sont créées viennent et font directement partie du monde généré. Il n’y a pas de seuil pas de différenciation entre édifice et environnement : tous les deux font partie de la même matière, répondent au mêmes règles et contrainte. »
Le mode créatif quant à lui est souvent qualifié par sa communauté de « bac à sable presque parfait » (sandbox). Le mode se démarque du fait que son gameplay consiste exclusivement à créer. Dans Minecraft le joueur est amené à construire la retranscription de ses désirs, sans se soucier du manque de matériau et de matière première, car il n’a aucune restriction. Les joueurs peuvent alors reconstruire des villes entières, des monuments…
Ce qui fait la particularité et la grande force de Minecraft par rapport à d’autres expériences de jeux en ligne est que le joueur a la totale propriété de ses créations. Contrairement aux jeux cités précédemment, les joueurs ont la possibilité d’exporter leurs maps Minecraft et d’en disposer de la manière dont ils le souhaitent. Cela crée alors un vrai marché, où certains serveurs vont jusqu’à commander et acheter des maps à des joueurs ou des professionnels, qu’ils vont ensuite utiliser comme base pour la création de mini jeu, des simulations de projet industriel, des plans d’urbanisme… qui n’ont aucun lien avec l’univers Minecraft.
The Binding of Isaac, Edmund McMillen et Florian Himsl, 2011
ESPACES GÉNÉRÉS
No Man's Sky, Hello Games, 2016
AUJOURD’HUI LA GÉNÉRATION PROCÉDURALE EST UTILISÉE DANS LA QUASI-TOTALITÉ DES JEUX VIDÉO POUR CE QUI EST DE LA CRÉATION D’ENVIRONNEMENT. CETTE GÉNÉRATION PROCÉDURALE DE DÉCORS REMPLACE PEU À PEU LES PACKS OU LES KITS DE DÉCORS UTILISÉS AU DÉPART PAR LES ENVIRONNEMENTS DESIGNERS.
Ces kits sont des ensembles d’éléments qui rassemblent des modules de décors préfabriqués. Ils contiennent principalement des éléments de type architecturaux : porte, fenêtre, escalier, mur… mais il peut aussi s’agir de simples objets ou accessoires décoratifs comme des livres, vaisselles, tableaux… ces modules vont être un outil essentiel pour les environnements designers qu’ils vont pouvoir facilement combiner pour réaliser des environnements homogènes et cohérents.
Les studios de jeu vidéo doivent trouver de nouvelles solutions de conception pour pouvoir proposer au joueur des paysages et des villes de plus en plus grandes et fournies. La génération procédurale permet de pouvoir générer de manière informatique des forêts et des bâtiments à partir d’une base de données de formes créée au préalable. C’est un gain de temps extrêmement important pour les environnements designers et pour la richesse des environnements de l’univers. Un jeu comme No Man's Sky sorti en 2016, base une grande partie de sa campagne marketing sur le fait que les environnements (faune et flore) des différentes planètes du jeu sont totalement générés procéduralement.
Seuls certains jeux indépendants continuent à modeler l’environnement du jeu au gameplay. Cela s’explique par les ressources limitées des développeurs, humainement et financièrement. Ils ont néanmoins, eux aussi, recours à la génération procédurale mais d'une manière différente. La génération procédurale est utilisée pour la création de level design et donc participe entièrement au gameplay du jeu. Par exemple dans le jeu indépendant Binding of Isaac, les cartes, et l’univers en 2D se génèrent de manière aléatoire. Cela permet d’une session de jeu à une autre de renouveler l’exploration et de ce fait la rejouabilité. Chaque joueur vit une expérience différente, même si la trame narrative reste identique : plongé dans un monde souterrain le joueur passe d’une salle à une autre afin d’accéder à l’étage suivant, il ne sait jamais ce qu’il l’attend derrière la porte qu’il choisit d’emprunter. Un schéma à l’écran permet au joueur de savoir quelle salle il n’a pas encore ouverte, libre à lui de choisir s’il a un intérêt à les ouvrir ou non. Cette mécanique rend impossible la recherche de cartes sur internet, le joueur ne peut jamais savoir ce qui l’attend dans la salle suivante.Le jeu Minecraft (à la base lui aussi un jeu vidéo indépendant), génère une nouvelle map à chaque fois que le joueur crée une nouvelle partie. Les ressources et le biome dans lequel le joueur est plongé ne sont jamais prévisibles. Ils se distinguent en plusieurs catégories : steppe, montagne enneigée, forêt… qui se génèrent procéduralement au cours au fur et à mesure que le joueur avance.
Pour le Game Developer Chris Deleon, les jeux vidéo indépendants peuvent se permettre ce genre de représentation abstraite de l’espace, car pour lui « les jeux indépendants touchent largement le groupe démographique des adultes, qui ont commencé à joueur au cours des années 1980 et au début des années 1990. Ceux-ci cherchent davantage des jeux qui traitent l’espace abstraitement, au service du gameplay, comme cela était la norme, par nécessité, dans les jeux vidéo diffusé sur les plateformes technologiques anciennes. ». Je ne suis pas réellement en accord avec Chris Deleon, je pense plutôt que les créateurs de jeux vidéo indépendants visent un public, de plus en plus nombreux, de joueurs avertis qui sont plus facilement familiers à ces traitements de gameplay et d’espace.
Cube de terre, MineCraft, Markus Persson, 2011
C’est d’ailleurs ce que révèle Xavier Retaux (Doctorant en psychologie cognitive et ergonomique, Présence de l’environnement : théories et applications aux jeux vidéo) en allant observer des joueurs du jeu vidéo Quake 3. Il remarque que les joueurs les plus confirmés baissent les qualités graphiques pour pouvoir augmenter la fluidité du jeu et éliminer tous éléments de décors perturbateurs.« Plus que le réalisme et l’immersion, c’est donc l’adaptation du programme à la tâche qui permet aux joueurs experts de se sentir présents dans l’environnement virtuel. […] le réalisme des interactions est alors non seulement inutile, mais devient gênant pour les joueurs experts. »