DU PLATEAU DE JEU À L’OPEN WORLD
Pong, Nolan Bushnell, 1972
AIRE DE JEUX
Maze War, Steve Colley et Greg Thompson, 1974
LORSQUE SONT APPARUS LES JEUX VIDÉO, ILS ÉTAIENT DIFFUSÉS SUR DES BORNES D’ARCADES ET DES ÉCRANS CATHODIQUES. LES PERFORMANCES D’AFFICHAGES ET DE STOCKAGE ÉTANT LIMITÉES, LES JEUX SE RÉSUMAIENT À DES ESPACES ABSTRAITS, OÙ SE DÉROULAIENT DES SITUATIONS ARBITRAIRES ET RÉPÉTITIVES QUI FAVORISAIENT AVANT TOUT LE GAMEPLAY.DANS PONG (1972) OU ENCORE SPACE INVADERS (1978), AUCUNE ARCHITECTURE NI AUCUN DÉCOR SEUL LE GAMEPLAY EXISTE, LE GRAPHISME N’EST QU’UN HABILLAGE DU GAMEPLAY. ICI, L’ÉCRAN DÉFINIT LUI-MÊME L’AIRE DE JEU, IL SUGGÈRE UN ESPACE ET UN CADRE AU JOUEUR.
1. Fait de passer d'un tableau à l'autre lorsque le personnage sort de l'écran
Adventure de Warren Robinett, sortie en 1979 sur Atari 2600, est l’un des premiers jeux à aborder une notion d’architecture. Il traite l’espace de jeu d’une manière qui sera peu reproduite par la suite. La notion d’architecture y est introduite par la présence de trois châteaux que notre personnage doit parcourir afin d’arriver à l’objet de sa quête. L’exploration est basée sur un labyrinthe virtuel, un ensemble de tableaux dont chacun décrit chacun une pièce. Un système de wrapping1 en bordure de chaque tableau permet de passer dans la pièce adjacente. Ce qui fait sa grande particularité, c’est que Warren Robinett profite du fait que les espaces virtuels peuvent s’abstraire des contraintes physiques, de telle façon que ce labyrinthe ne pourrait pas exister de manière réelle. Aucune carte cohérente ne peut être dessinée sans y ajouter d’annotations de wrapping « vers… », « en provenance de… ». La création de ce genre d’espace sera reprise plus tard dans certains jeux en trois dimensions. Il ne s’agit dans ce cas que de séquences de jeu où le personnage est troublé ou perdu, ces espaces tridimensionnels impossibles viennent refléter les états d’âme de notre personnage et déstabilisent le joueur.
Un an après, en 1980, on retrouve la figure du labyrinthe dans Pac-Man. Contrairement à Adventure celui-ci ne se déploie pas sur un ensemble de tableaux, mais sur un plateau qui est celui de l’écran. Le gameplay de Pac-Man est essentiellement basé sur la course poursuite dans un jeu de chasseur chassé. Les pac-gommes disposés sur le plateau permettent au joueur de visualiser facilement quelle partie du labyrinthe il n’a pas encore explorée, une fois qu’il les a tous ramassés le joueur accède au plateau suivant. Un tunnel à droite et à gauche du labyrinthe permet à Pac-Man de sortir à gauche de l’écran et de réapparaître à droite et vice versa par un système de wrapping. Aucun élément de l’histoire n’explique pourquoi l’espace du jeu se réplique de manière surréaliste, mais cela sert la jouabilité en rendant les parties plus dynamiques.
2. Notamment pour Les Voyageurs du temps de Paul Crusset, autre grande figure du jeu vidéo français, et considéré comme le fondateur français des jeux pointé cliquer, ou point and click.
Another World de 1991, est un jeu vidéo intégralement créé par Éric Chahi, passe du décor entièrement fait de pixel à du dessin vectoriel. Le passage au dessin vectoriel est un gain de mémoire, car un seul polygone vient remplacer des centaines de pixels qui composaient avant les images. Il ne s’agit pas de technologie nouvelle, car le dessin vectoriel est déjà utilisé dans le cinéma d’animation. Avant de se lancer dans Another World, Éric Chahi a travaillé pendant plusieurs années comme animateur pour le cinéma puis pour le jeu vidéo2. Son expérience et son goût pour le cinéma se ressentent dans Another World, ou il intègre au gameplay du montage, et construit chaque tableau avec des effets de profondeur de champ en organisant l’action sur plusieurs plans qui viennent nourrir la narration. Le jeu est une révolution, car le gain d’espace mémoire permet un grand nombre d’animations fluides et une multiplication des couleurs utilisées.
Le début de la 3D amène son lot de tentatives de simulation d’espaces réels. Cependant, la disposition et les possibilités des niveaux que proposent certains jeux restent abstraites, décoratives et arbitraires. Les architectures n’existent alors que comme frontières, des murs qui canalisent le joueur et le guident vers le chemin prévu, toujours de manière à répondre au gameplay.
Des jeux comme Super Mario 64, sortis en 1996, font partie des exemples de jeux vidéo 2D convertis en 3D. Super Mario 64 est le premier jeu 3D de la série de jeu Super Mario publié par Nintendo : Super Mario Bros 1985, Super Mario Bros 2 1988 et Super Mario World 1990. La particularité de ces jeux de plateforme est que le personnage, Mario, évolue dans un espace irréel. Les performances d’affichage, en vue latérale, de la 2D rendaient quasiment impossible la représentation d’espaces réalistes. Les différents niveaux se distinguent visuellement par un décor anecdotique et des effets de textures : zone caverneuse, zone sous-marine, salle de château, zone extérieure…
Images :Pièce étoile et pièce en or, designs utilisés depuis 2006 par Nintendo pour la série de jeu Mario
Ces espaces sont arbitrairement dictés par le gameplay, sans contraintes physiques ou architecturales. Au cours de sa progression, le joueur pourra collecter un certain nombre de bonus qui sont cachés dans le décor et récolter des pièces de monnaie ou des bonus éparpillés dans le niveau à intervalles réguliers. De la même manière que les pac-gommes dans Pac-Man, ces pièces incitent le joueur à explorer complètement l’espace et désignent les endroits qui n’ont pas encore été explorés.Dans Super Mario 64, le passage à la 3D n’a pas rendu les espaces parcourus réalistes. Même si les performances permettent la création d’architecture crédible, les choix d’espace sont toujours dictés par le gameplay. Les mêmes types de décors que dans les premiers épisodes peuvent maintenant être explorés de manière tridimensionnelle. Cela n’a toujours pas changé aujourd’hui, de grandes séries comme Mario (Nintendo) ou Sonic (Sega), continuent à perfectionner et à moderniser ses types d’espaces abstraits centrés sur le gameplay. S’ils peuvent se le permettre, c’est parce qu’ils entretiennent une norme et une identité qui était déjà là leur au début de ces séries qui ont commencé sur arcade dans les années 70.
The Stanley Parable, Davey Wreden et William Pugh, 2013
L’ESPACE COMME DÉCOR NARRATIF
BioShock Infinite, Irrational Games, 2013
1. Pour Xavier Retaux le réalisme d’un jeu se décline en deux catégories :« le réalisme des situations » il s’agit de situations ou de scénarios basés sur des situations existantes et le « Réalisme des interactions » qui regroupe les représentations ou les actions (interaction) déjà connues du joueur.
LES ANNÉES 1990 MARQUENT LE DÉBUT D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE JEUX VIDÉO EN 3D AVEC DES TITRES COMME HALF-LIFE, METAL GEAR SOLID… À LA DIFFÉRENCE DE SUPER MARIO 64, LES ENVIRONNEMENT DESIGNERS COMMENCENT À IMAGINER DES ESPACES RÉALISTES. LES ESPACES ET LES SITUATIONS RÉALISTES AMÉLIORENT L’IMMERSION ET LA COMPRÉHENSION NARRATIVE DU JOUEUR. IL EST DONC PLUS SIMPLE POUR LUI DE SE DÉPLACER ET D’AVOIR DES COMPORTEMENTS ADAPTÉS QUI AUGMENTENT LE « RÉALISME DES SITUATIONS »1.
«Pour créer un univers fictif en profondeur, il faut graver le passé des lieux dans la matière, les murs, les peintures, les tuyaux... C’est comme une vieille forêt : en étudiant les arbres, un botaniste peut comprendre ce qui s’est déroulé des centaines d’années auparavant.»
Viktor Antonov, directeur artistique de Half-life 2
Les concepteurs ne se contentent plus d’utiliser un simple effet de texture pour induire au joueur dans quel environnement il se trouve. Ils commencent à mettre en place des espaces crédibles en imaginant des plans d’étages, des secteurs spécifiques… Pour augmenter l’aspect réaliste, les objets ou les items sont placés dans le décor de manière logique, un classeur sur un bureau, un sniper dans une tourelle… Ces objets que l’on pourrait qualifier d’insignifiants permettent de nous situer le joueur de manière plus précise dans un lieu et une époque.
D’une manière un peu moins subtile, la narration ou les événements passés peuvent être inscrits dans le décor à l’aide de fresques ou de dessins. Ils vont pouvoir évoquer de manière figurative des événements passés ou à venir, mais aussi préciser nos déplacement et action dans cet univers.
Un autre principe qui à une place forte dans le jeu vidéo est l’affordance. L’affordance est un principe d’abord théorisé par Don Norman pour le domaine du Design dans son livre « The design of everyday things » qui s’applique maintenant à de nombreux domaines dont le jeu vidéo fait partie. L’affordance d’un objet est sa capacité à nous évoquer son bon comportement d’utilisation.
On retrouve ce principe de plusieurs manières dans le jeu vidéo. Prenons en exemple un jeu comme Ico. Ico est un jeu d’aventure en 3D créé par Fumito Ueda sortie en 2001 sur PlayStation 2. La grande particularité de ce jeu, qui en fait aujourd’hui un classique, est que le joueur est plongé dans l’aventure, après une longue cinématique, sans même qu’on lui ait expliqué à l’aide d’un tutoriel par exemple, les moyens que le joueur a pour explorer ou interagir avec son environnement.
Aucune information, aucune interface extradiégétique ne vient parasiter l’expérience du joueur. Nous voilà enfermés dans un bâtiment. Il n’y a pas d’objectif implicitement défini par le jeu en lui-même, mais le joueur va instinctivement essayer de trouver la sortie. Très vite les premiers signes d’affordance se mettent en à opérer. Les éléments activables du décor sont rapidement identifiés par le joueur : un levier à activer dans la première salle nous permet d’accéder à la salle suivante. Dans un coin, une échelle nous permet d’accéder à l’étage supérieur, puis une chaîne accrochée au plafond de nous suspendre.
Signes d'affordance de navigation dans The Stanley Parable, Assassin's Creed Unity, NieR: Automata, BioShock
Si ces signes d’affordance fonctionnent, c’est qu’il évoque au joueur des comportements qu’il a déjà pu mettre en pratique et assimiler dans sa vie quotidienne, ou alors des mécaniques déjà fortement démocratisées par d’autres jeux vidéo avant lui.
Un bout de l’escalier effondré empêche la suite de la progression, si l’on regarde autour de nous on remarque une fenêtre dont la vitre est brisée. Un rebord de fenêtre prononcé nous permet de nous y hisser et ainsi d’atteindre l’extérieur pour contourner l’obstacle. Cette fenêtre cassée fait partie de ce que les level designers qualifient de navigational affordance, il s’agit d’éléments de l’environnement qui induisent un comportement de navigation au joueur. Ici il s’agit d’une fenêtre brisée, mais d’autres jeux vont par exemple utiliser : une porte ouverte, un trou dans un grillage, un ascenseur, un chemin, un couloir, un passage, un escalier… Ici la fenêtre brisée attire l’attention du joueur, car elle évoque une ouverture sur l’extérieur et donc une possibilité de s’échapper. (Malheureusement pour notre personnage, celle-ci ne mène que sur les remparts qui nous permettent de constater l’immensité et la mer qui entoure le bâtiment dans lequel nous sommes enfermés).
2. Ce qu’elle fait pour le jeu Minecraft dans son article « Minecraft » : de l’état de nature aux sept merveilles du monde.
Autre exemple, mais cette fois en vidéo.Le jeu Inside du studio Playdead est ce que Camille Gévaudan qualifierait de jeu in medias res2, c’est-à-dire un jeu où le joueur s’y retrouve plongé « sans cinématique d’introduction ni tutoriel d’apprentissage, sans générique ni musique ». Pour Inside c’est d’autant plus vrai, car le joueur entre dans le jeu sans même passer par un menu principal. En tant que joueur cette expérience est particulière, car nous sommes directement plongés dans cet univers qui vas s'avérer, quasiment immédiatement, extrêmement hostile et vas instaurer un climat d'angoisse permanent.
Portal 2, Valve, 2011
LA QUÊTE DE RÉALISME DES AAA
Kingdom Come Deliverance, Warhorse Studios, 2018
L’UNE DES QUESTIONS CLEFS DU GAME DESIGN DANS L’ÉVOLUTION LUDOLOGIQUE ET TECHNIQUE DU JEU VIDÉO A TOUJOURS ÉTÉ CELLE DES DEGRÉS DE LIBERTÉ (AU SENS MÉCANIQUE) LAISSÉS À L’AVATAR DU JOUEUR. DANS PAC-MAN, LE JOUEUR NON SEULEMENT NE PEUT ALLER QU’À GAUCHE OU À DROITE ET EN AVANT OU EN ARRIÈRE (LA TROISIÈME DIMENSION N’EXISTE PAS) MAIS SES DÉPLACEMENTS SONT CONTRAINTS PAR LE SCHÉMA RIGIDE DES VOIES DU LABYRINTHE.DANS SPACE INVADER, L’AVATAR DU JOUEUR A ENCORE MOINS DE DEGRÉS DE LIBERTÉ PUISQU’IL NE PEUT SE DÉPLACER QU’À DROITE OU À GAUCHE. SON UNIVERS DE DÉPLACEMENT N’EST PLUS UN PLAN COMME DANS PAC-MAN MAIS UNE DROITE (OU PLUTÔT UN SEGMENT DE DROITE).
1. Triple A ou AAA, équivalent pour le jeu vidéo d’un blockbuster pour le cinéma.
Aujourd’hui, les capacités de représentation des logiciels sont immenses et permettent de simuler des espaces et des environnements conformes à la réalité. Les espaces 3D des jeux vidéo dits triple A1 sont proches de rendu cinématographique, et propose des niveaux de détail de plus en plus poussés. Plus un jeu est dit réaliste, plus il gagne en intérêt et en qualité aux yeux des joueurs (mais cela ne prend pas en compte le gameplay). Le game developer indépendant Chris Deleon dit d'ailleurs que « Les grandes productions de jeu vidéo contemporaines focalisent l’attention sur l’action dans un espace réel, au lieu d’un gameplay dans un lieu virtuel. »
Ces progrès visuels sont également accompagnés d’un nouveau mode de déplacement et d’exploration pour le joueur. Les jeux à monde ouvert ou Open world permettent au joueur d’explorer son environnement de manière multidirectionnel, il ne s’agit plus de plateaux où l’écran lui-même défini l’air de jeu, de tableau, ou d’un ruban interminable comme nous avons pu l’évoquer pour certains jeux vus précédents. Le joueur a alors la possibilité de s’y promener librement, même si cela ne sert pas l’objectif principal et ne fait pas avancer la narration.
Pour certains, la série de jeu Assassin’s Creed a permis d’augmenter la fonction de l’espace architectural. En effet, jusqu’à présent, les bâtiments dans les jeux vidéo servaient de frontières, ils délimitaient l’espace afin de guider le joueur. Le plus important n’était donc pas l’architecture en elle-même, mais l’espace négatif qu’elle créait afin de permettre la circulation de l’avatar.
Assassin's Creed a jeté cette convention par la fenêtre ouvrant une nouvelle dimension d’exploration au joueur. Il n’est plus cantonné dans les rues, il peut maintenant grimper sur chaque bâtiment et monument. L’environnement tout entier s’ouvre alors à la navigation du joueur, soudainement le plan vertical devient aussi, voir plus important que le plan horizontal. Chaque détail architectural est alors pensé de manière à permettre et favoriser le déplacement du joueur.
"J’ai réalisé que seul le jeu vidéo permet de créer une ville dans son intégralité. Un privilège jusque-là réservé aux dictateurs et aux rois !"
Viktor Antonov, directeur artistique
Pour la conception d’une ville en open world, certain, environnement designers vont jusqu’à s’inspirer des cinq points "d’imagibilité des formes urbaines" théorisés par l’urbaniste Kevin Lynch. C’est le cas par exemple de Konstantinos Dimopoulos, urbaniste, et game developer, qui le confie lors d’un entretien pour le site internet level 80.
Il s’agit des cinq éléments essentiels que l’on utilise pour se déplacer dans une ville et ainsi créer sa carte mentale :
→ “Path” (les voies) : tous les éléments qui permettent aux gens de se déplacer dans la ville : comme les trottoirs, routes, autoroutes, voies de chemin de fer… Elles sont hiérarchisées par leurs fonctions et leurs fréquentations. → “Edge” (les limites) : Permettent de fermer la carte et de contenir le déplacement du joueur, il peut s’agir de limites naturelles : montagnes, rivages… ou physiques : murs, remparts, grillages… Ces limites créent des espaces négatifs dans lesquels le joueur est en quelque sorte canalisé. →”District” (les quartiers) : Il s’agit de zones cohérentes. Cette cohésion peut être engendrée par un style architectural, une ambiance, ou l’activité qui s’y déroule. Dans le jeu vidéo GTA IV, par exemple, certains quartiers de Liberty City (inspiré de la ville de New York), peuvent être fermés à notre personnage en raison de sa classe sociale. → “Node” (les carrefours) : Ils sont des points importants de l’orientation, ce sont des places ou de grands carrefours où peuvent se rejoindre plusieurs voies, ils sont important dans la déambulation et dans les prises de décision du joueur.→ “Landmark” (les repères) : Les points de repères sont des éléments variés qui peuvent être différents en fonction de la sensibilité de chaque joueur. Ces éléments peuvent avoir une place plus ou moins importante dans le contexte dans lequel ils se trouvent. On les remarque et les enregistre dans notre carte mentale, car ils créent un contraste important de par leurs tailles, leurs architectures, leurs singularités…
2. Personnage non-joueur ou NPC Non-playing character.3. Affichage tête haute, ou HUD head-up display.
Les éléments qui permettent au joueur de pouvoir se guider dans le jeu peuvent être de deux natures : diégétique et extradiégétique. Les points de Level Design qui sont des éléments de signalétique basiques comme une flèche, des panneaux de direction, des cartes, des noms de rues, landmarks… sont des éléments diégétiques à l’univers du personnage, ils font partie intégrante du décor et de sa réalité. Nous pouvons aussi être amenés à suivre un PNJ 2 qui ouvre la route au personnage.
Il peut aussi s’agir dans des cas particuliers d’UI spatiale, c’est-à-dire des éléments du décor inclus dans le monde 3D sur lequel est imposé un effet extradiégétique qui attire le regard du joueur ou signifie une possible interaction.
Ce que j’appelle les éléments extradiégétiques sont les éléments qui viennent s’ajouter à l’image comme une couche supplémentaire qui vient augmenter l’univers. Ils sont plus communément appelés ATH 3 et regroupent des informations comme : le score, la carte, le nombre de points de vie…
Il peut s’agir d’une carte affichée en permanence à l’écran, ou dans les options accessibles dans les options de jeu. Plus qu’une carte elle devient une boussole ou un GPS (que l’universitaire Thierry Joliveau qualifie de géodispositifs) qui localise le positionnement du joueur dans le décor et lui indique le chemin qu’il doit suivre pour accéder le plus rapidement à son objectif. Mathieu Triclot en fait d’ailleurs la critique « contradiction fondamentale du genre open-world, où on te vend un monde inconnu à découvrir, et où tu ne fais que suivre le GPS. C’est typique dans GTA : tu as une ville modélisée de manière extraordinaire, mais si on pouvait suivre le regard du joueur dans les déplacements en voiture, on verrait qu’il ne regarde que le petit coin en bas à droite de l’écran, avec ce mini-jeu 2D qu’est le GPS. »
NieR: Automata, PlatinumGames, 2017
ESPACES SCRIPTÉS
The Beginner's Guide, Everything Unlimited, 2015
L’ARCHITECTURE ET LE JEU VIDÉO CRÉENT CE QU’APPELLE NORMAN KLEIN, DES « ESPACES SCRIPTÉS » (SCRIPTED SPACES). IL EXPLIQUE QUE LES CENTRES COMMERCIAUX, LES JARDINS, OU LES PARCS D’ATTRACTIONS FONCTIONNENT SUR CE PRINCIPE, L’ESPACE EST PENSÉ POUR QUE LE VISITEUR AIT L’IMPRESSION DE SE PROMENER LIBREMENT, DANS UN ESPACE PROGRAMMÉ ET CLOS.LES PLANS DES MAGASINS IKEA EN SONT LA MEILLEURE ILLUSTRATION, LE SYSTÈME LABYRINTHIQUE DÉSORIENTE LE CLIENT ET AUGMENTE LE TEMPS QU’IL VAS PASSER DANS LE MAGASIN. UN SYSTÈME DE FLÈCHES AU SOL PERMET DE GUIDER LE CLIENT QUI DEVRA PASSER DANS L’INTÉGRALITÉ DES RAYONS AVANT D’ARRIVER À LA SORTIE.
Projet pour le jardin anglo-chinois du Petit Trianon, par Antoine Richard, jardinier de la Reine
Paul Sztulman explique que le jeu vidéo imite le réel de la même manière que les jardins « anglo-chinois » imitent la nature. Ce qui fait la particularité de ces jardins, c’est qu’ils cherchent à montrer une forme de quintessence de la nature sauvage, contenu dans un espace isolé et clos. De la même manière, le jeu vidéo « isole le joueur dans des univers sans l’exposer à ses périls ».
Même si l’espace ouvert représente un gain d’espace par rapport aux jeux vidéo à voies (à suivre), l’espace de ces jeux vidéo est encore un monde clos et non pas un univers infini.
« Pénétrer un jeu vidéo, c’est avant tout pénétrer dans un espace codé et régi par des règles très strictes. Et cet espace, même lorsqu’il présente un semblant d’aléatoire, n’en est pas moins presque toujours une simulation parfaitement contrôlée. »
Mohamed Magdoul
Un jeu comme Stanley Parable se joue avec beaucoup d’humour de la notion du libre arbitre du joueur. Il s’agit à la base d’un mod créée à partir du moteur de jeu de Half Life 2. Le jeu est basé sur des mécaniques de scénario qui, grâce à une arborescence d’action, prévoit les comportements des joueurs. Le jeu vient briser l’illusion en révélant les mécaniques des jeux open world ou tout nous semble possible et dans lesquelles le joueur à l’impression de s’y déplacer librement. Dans Stanley Parable, le joueur ne peut suivre que les chemins programmés. Une voix-off commente nos déplacements et nous indique certains choix à faire. Libre à nous de suivre la voie ou de la quitter. Quelque soit notre choix, le joueur évolue dans un scénario complètement scripté, on est sans cesse rattrapée par l’histoire et par le narrateur qui exprime son mécontentement. Chacune de nos actions finit toujours par mener à l’une des 18 fins possibles au jeu, chacune de ses fins (sorte de Game Over) fait reprendre l’histoire au joueur là où il l’a commencé : dans son bureau.
« Quand Stanley arriva devant deux portes ouvertes, il traversa celle de gauche. »« Ce n’était pas le bon chemin vers la salle de réunion, et Stanley le savait très bien. Peut-être voulait-il s’arrêter dans le salon des employés d’abord, juste pour l’admirer. »« Ah, oui. Une salle qui valait la peine d’être admirée. Elle avait vraiment mérité un détour après tout, juste pour passer quelques instants dans cette pièce immaculée et parfaitement conçue. »« Stanley resta debout là, à respirer l’ambiance. »« Oooouuuuiiii, ça valait vraiment, vraiment le coup d’être ici dans cette pièce. Une pièce si abracadabrantesquement captivante ; malgré la disparition mystérieuse de tous tes collègues, te voilà ici assis émerveillé par ses fauteuils et ces tableaux. Ça valait le coup. » « À ce point, l’obsession de Stanley envers ce salon devenait effrayante, et laissait une impression peu flatteuse de sa personnalité. Peut-être était-ce la raison pour laquelle tout le monde était parti. »« Stanley restait là, à attendre d’autres lignes de dialogue, mais après une longue période d’absence, il décida que le jeu essayait de lui faire passer un message. »
« L’immersion dans un univers vidéoludique est toujours une expérience unique. Non pas à cause de son intensité, que certains souhaiteraient mettre en comparaison avec l’immersion cinématographique ou littéraire, mais parce que le jeu vidéo, au-delà de devoir être joué, doit être « complété » par les inputs du joueur pour exister. »
Il ne faut pas oublier que les espaces du jeu vidéo sont avant toute chose des programmes informatiques. Ses décors ne sont activés que par un joueur qui les parcourt, sans avoir accès n’y conscience de ses calculs. À la grande différence des jeux classiques (carte, plateau…) le joueur n’a pas à connaître les règles du jeu, celles-ci sont intrinsèquement reliées à l’univers et agissent comme des règles naturelles. C’est ce qu’explique Sébastien Genvo : « Le jeu vidéo permet de faire l’appréhension des règles sans les connaître en avance ». Pour illustrer cela, il utilise la comparaison entre un jeu d’échecs traditionnel (avec un plateau et des pions) et un jeu d’échecs numérique. Sans avoir à connaître les règles du jeu, le jeu d’échecs numérique va nous induire les règles et les objectifs en fonction de ce qui est permis ou non au joueur.